Je viens de relire Carnets du grand chemin de Julien Gracq (José Corti, 1992). Je livre ici, sans commentaires, quelques-une de ses réflexions sur la lecture et l’écriture.
De la survie des ouvrages littéraires
« L’œuvre d’un écrivain, passé l’ère classique, s’installe de moins en moins dans la durée comme un absolu, de plus en plus comme un étai temporaire et un garant, qu’on réactive occasionnellement pour les besoins de l’ “idéologie dominante” ou de la technique littéraire du jour. Ce que nous appelons immortalité n’est le plus souvent qu’une continuité minimale d’existence en bibliothèque, capable d’être remobilisée par moments, pour cautionner la mode ou l’humeur littéraire du temps. » (p. 245)
Les livres sont contagieux
« Un calcul, même très approximatif du nombre d’heures dont nous avons disposé au cours de notre vie pour la lecture, nous prouve que nous avons en réalité lu sensiblement moins de livres que nous ne le croyons. Nous n’avons pas eu le temps matériel de lire tous les livres que nous pensons avoir lus.
Mais les livres que nous avons lus sont bien loin d’être les seuls éléments de notre culture livresque. Comptent aussi, parfois presque autant, ceux dont nous avons entendu parler, d’une manière qui nous a fait dresser l’oreille (l’oreille interne), ceux dont un passage cité ailleurs isolément a éveillé en nous des échos précis, ou dont la mitoyenneté avec des ouvrages déjà connus de nous a permis au moins l’étiquetage. Ceux dont nous ne connaissons guère que le titre et le sens général, mais qui, dessinés en creux par les frontières des livres connexes, figurent pourtant, dans notre répertoire livresque, comme références utilisables.
Cette culture accrue par enjambements, par recoupements et par contamination, est peut-être la vraie culture livresque. Le livre et contagieux. La masse des livres déjà connus confère une demi-réalité maniable aux livres nons lus encore qu’elle cerne et fait pressentir. …
Pour s’enrichir pleinement par la lecture, il ne suffit pas de lire, il faut pouvoir s’introduire dans la société des livres qui nous font alors profiter de toutes les relations, et nous présentent à elles de proche en proche à l’infini.» (Gracq Carnet 262-64)